L'histoire de médiation qui suit est représentative de cet espace relationnel créé par la rencontre de médiation et nécessaire pour dépasser la crise engendrée par la séparation conjugale.
Gilles contacte l'Association Parents-Enfants-Médiation par téléphone, au cours du mois d'avril 2005. Il souhaite prendre un rendez-vous avec le médiateur car il accepte difficilement la décision de sa compagne, Julie, qui souhaite interrompre leur vie commune. Ensemble, ils ont un fils, J., âgé de 12 ans. Nous lui proposons de le rencontrer.
• Lundi 25 avril 2005, Gilles, électricien indépendant, s'installe timidement dans la salle de médiation. Il a du mal à s'exprimer. Son discours est chargé de culpabilité. Sa compagne, Julie, âgée de 54 ans, ne veut plus vivre avec lui car il a « commis des erreurs » : il a fréquenté d'autres femmes, il a de nombreuses activités (le travail, les entraînements d'une équipe de foot, les soirées créoles organisées avec ses amis…) et n'est donc pas très présent pour sa famille. Il veut comprendre pourquoi il « les fait souffrir » alors qu'il « aime sa femme et son fils ». Il souhaite changer pour éviter la séparation. Selon lui, tout est de sa faute, Julie n'a rien à se reprocher. Il aimerait se faire pardonner. Ils en discutent souvent ensemble, dans un climat relativement serein, mais Julie a pris sa décision.
Nous lui précisons que ce qu'il semble demander s'apparente davantage à une thérapie individuelle, voire à une thérapie familiale, et nous lui explicitons à nouveau les principes et les objectifs de la médiation familiale. Il accepte la démarche proposée. Nous lui suggérons d'en discuter avec sa compagne (nous lui fournissons la fiche de présentation de l'association. Le principe est de favoriser en premier lieu la démarche commune des parents). Si Julie est d'accord, elle pourra prendre rendez-vous au Centre pour un entretien individuel.
Dans le courant de la semaine, Julie nous appelle et nous fixons un rendez-vous, principalement « pour aider Gilles à accepter la séparation car, en ce qui la concerne, elle n'éprouve pas le besoin d'une médiation familiale. »
• Lundi 2 mai 2005, Julie, une femme dynamique, se présente au centre PEM. D'une personnalité assez forte mais plutôt posée, sa maturité lui donne une sorte de sagesse, de complaisance à l'égard de la situation. Elle « éprouve beaucoup de tendresse » envers Gilles : ils ont partagé quinze années et il est le père de J. Mais sa « solitude », « ses femmes » ont atténué progressivement son amour : « J'en ai beaucoup souffert. On a traversé des crises. Je lui ai dit que je souffrais de son absence et il m'a fait des promesses, qu'il a tenues les premiers mois, puis tout recommençait : le travail, les soirées, le foot et ces femmes. Mais maintenant, j'ai dépassé tout ça. Je pense que c'est bien pour lui aussi, pour qu'il puisse réalisé ses projets. Je l'apprécie beaucoup mais je ne vois pas l'intérêt de rester ensemble si nous ne partageons rien tous les trois. »
Nous lui proposons de les rencontrer tous les deux lors d'un prochain entretien. JUlie, un peu réticente, pense que c'est à lui de faire un travail pour mieux comprendre son fonctionnement. Elle a pris sa décision et « ne veut pas qu'il s'imagine que la médiation puisse changer quelque chose ».
Effectivement, Julie est déterminée. Nous lui indiquons alors que la médiation peut permettre à Gilles d'entendre sa parole et de poser plus clairement, dans cet espace et ce temps particulier de la médiation, la réalité de la séparation. Dans cet objectif, elle accepte de revenir la semaine prochaine.
• Lundi 9 mai 2005, nous sommes installés autour de la table dans la salle de médiation, Julie et Gilles, assis à côté mais les chaises un peu espacées, sont tous les deux tournés en direction du médiateur. Gilles évite de la regarder.
Le médiateur introduit la séance en posant le cadre de la rencontre de médiation puis en reprenant succinctement le déroulement des évènements depuis quelques semaines. A présent, c'est à eux de décider de quoi ils vont parler.
Un petit silence, des échanges de regards furtifs et Gilles commence : « C'est difficile. Je ne sais pas… ». Silence. Le médiateur intervient en reformulant la situation telle qu'ils nous la présentaient. Julie acquiesce : « Tous les jours, on parle de mon désir de séparation. Je lui ai expliqué que j'avais fait le deuil de notre relation. Mais pour lui, c'est différent. ». Gilles, toujours tourné vers le médiateur, réagit : « Je veux faire un travail sur moi. Je voudrais que notre couple tienne. Je sais que c'est moi qui ait provoqué la situation. » Le médiateur lui suggère de lui dire à elle. Mais Gilles continue : « On ne communiquait qu'en période de crise mais j'ai du mal à dire les choses. Peut-être que je ne montrais pas mon amour comme ils attendaient mais j'avais d'autres moyens. » Le médiateur l'interroge alors sur ces autres moyens de montrer son affection à sa famille et Gilles évoque les invitations au restaurant, les cadeaux… Puis nous sollicitons Julie : « Les cadeaux me faisaient très plaisir mais …J'étais gâtée mais seule ! ».
Ainsi, chacun a pu s'exprimer et confronter ses ressentiments à ceux de l'autre. Nous avons travaillé sur les différentes perceptions et les incompréhensions de chacun concernant leur vécu, essentiellement autour de la solitude exprimée par Julie et de la charge excessive de travail que se donnait Gilles Progressivement, ils arrivent à employer « tu » pour désigner l'autre mais ne se regardent toujours pas.
Le ton monte mais sans agressivité, davantage pour donner du poids aux mots. Julie insiste : « ça sert à rien de rabâcher toujours la même chose. Je comprends que c'est difficile pour lui, mais pour moi, c'est fini ! » Gilles, lui, n'a pas l'impression d'être compris. Il évoque son « enfance difficile », ses préoccupations et le rôle qu'a joué Julie dans son processus de « revalorisation ». Mais il craque et ne peut retenir ses larmes. Il cache son visage dans ses mains et de la compassion peut se lire sur le visage de Julie. L'atmosphère est pesante et un long silence est nécessaire pour dépasser ce moment de tension émotionnelle.
Julie évoque alors l'importance pour J. de connaître l'histoire de son père, pour comprendre son comportement, et de s'approprier « son côté antillais ». Mais Gilles, qui a effectivement des origines antillaises, a une « mentalité à taire les choses » qui lui vient de son éducation et qui le fait souffrir. Julie, les larmes aux yeux, exprime à son tour la souffrance qu'elle ressentait lorsqu'il ne rentrait pas le soir (…). A ce moment-là de la rencontre de médiation, ils se retrouvent dans la douleur.
Puis, ils évoquent la nécessité pour Gilles de faire un travail personnel mais Julie précise : « Je ne peux pas faire un certificat comme quoi on se remettra ensemble quand il aura fait ce travail ». Gilles, la mine abattue, termine : « Je vais déjà le faire pour moi puis on verra bien… ».
Le changement de position de Gilles au cours de la rencontre de médiation, dont la demande était au départ d'effectuer un travail de réflexion personnelle pour « récupérer » sa compagne, semble amorcer le processus d'acceptation d'une rupture.
Le médiateur met fin à l'entretien, qui a duré deux heures environ, en proposant au couple de fixer un prochain rendez-vous, dans un délai de quinze jours pour leur laisser un temps de réflexion et d'élaboration, lors duquel nous pourrions envisager les dispositions qu'ils souhaitent mettre en place pour organiser leur vie familiale après la séparation. Le rendez-vous est fixé au lundi 23 mai 2005.
Cette expérience de médiation témoigne de la mise en place d'un espace et d'un temps destinés à l'expression de la parole qui permet aux personnes de se distancier par rapport à la situation. Elle offre une aire de transition, un passage entre le vécu du couple et le temps de la séparation.
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